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Une chanson culte : Hallelujah de Léonard Cohen

Dans la série : Petite Histoire d'une grande chanson ( 1 )

C’est l’histoire d’une chanson que tout le monde connaît. Les connaisseurs et mélomanes savent qu'elle appartient à Léonard Cohen...

Pour d'autres, plus jeunes, c'est Jeff Buckley qui en est l'auteur, et pour les totales incultes c'est "la B-O de Shrek"...


On parle bien entendu du cultissime : Hallelujah.

Grâce à John Cale, Jeff Buckley, Shrek et à « The X factor » émission anglaise équivalente de notre « nouvelle star » en France, une chanson longtemps obscure a soudainement connu la lumière, au point de devenir l’une des plus reprises du répertoire de Leonard Cohen. Retour sur l’incroyable trajectoire de Hallelujah, de sa genèse douloureuse à son ascension en hymne universel.


Musique typique à faire pleurer dans les chaumières, on oublie pourtant souvent d'où elle sort, ses paroles, et son sens caché...

Léonard Cohen est un poète. Son écriture hors pair lui a permis de faire en sorte que les mots soient tellement bien tournés qu’il est difficile de savoir de quoi parlent réellement le texte. Une histoire d'amour passionnelle ? Un hommage religieux ? C'est un peu plus complexe en réalité. En cherchant bien, on se rend compte effectivement que Hallelujah n'est pas un chant religieux et qu'il mêle deux sujets tabous.


Leonard Cohen avait à l’origine conçu cette chanson pour en faire une oeuvre à mi-chemin entre le gospel et la danse folklorique.

Léonard Cohen l’a écrite en 1980, dans la douleur. " J’ai rempli deux carnets de notes et je me souviens m’être retrouvé au Royalton Hotel de New York, en sous-vêtements sur la moquette, me cognant la tête sur le sol en me lamentant de ne pas pouvoir finir cette chanson " .

A Bob Dylan, qu’il croise en 1987 après un concert et qui lui demande combien de temps il a mis pour l’écrire, Cohen avoue deux années de labeur, sous-estimant volontairement la réalité : «J’ai menti parce que j’avais honte de lui dire combien de temps cela m’avait pris en réalité.»


Il écrit ainsi pour Hallelujah pas moins de 80 couplets pour n’en retenir au final que cinq, qui apparaissent dans la version originelle de l’album, en décembre 1984. Il vient de fêter ses 50 ans, et à travers le prisme biblique de ce morceau à l’interprétation enfiévrée, c’est en réalité un autoportrait en forme de bilan désenchanté dont on peut apercevoir la trame.


Il y a pourtant des failles béantes dans cette première version qui obligent à se garder de toute interprétation trop définitive des intentions originelles de Cohen à travers cette chanson à l’ambiguïté un peu sournoise.

Les paroles sont donc des résumés d’histoires d’amour n’ayant rien à voir avec le romantisme ! Cohen a écrit plusieurs couplets rarement chantés. Certains ont été inclus dans la version de John Cale qui, le premier, a donné à la chanson une dimension publique et un succès spectaculaire. Il semble que cette version ait repris des parties de texte dont la connotation sexuelle est nettement plus marquée.


La version reprise par Jeff Buckley n’est pas calquée sur l'originale. Elle s’appuie sur une relecture de John Cale. Lorsqu’il s’en empare à son tour, Jeff Buckley exacerbe la version très sobre qu’a livrée John Cale.


Moins déchirante que les reprises de Buckley ou Wainright, la version première peut en revanche se targuer de revêtir une aura sensuelle inégalable. Sans doute le grain de voix grave de Cohen en est pour quelque chose.


Ceux qui comprennent les paroles anglaises ignorent parfois le pourquoi d’un texte dont l’âpreté tranche avec la douceur de supplication de la musique. Cette chanson a une double connotation. Elle fait référence à la bible, en particulier au roi David auteur des Psaumes, et à la sexualité.

strophe 1 (dans la version originale)


Now I've heard there was a secret chord / That David played, and it pleased the Lord / But you don't really care for music, do you ? / It goes like this / The fourth, the fifth / The minor fall, the major lift / The baffled king composing Hallelujah / Hallelujah (4 fois)


On m'a dit qu'il existe un accord secret / David jouait et Dieu l'aimait / Mais tu n'aimes pas vraiment la musique / N'est-ce pas ?./ C'est très simple la quarte, la quinte / Le chute mineur, le majeur qui grimpe / Le Roi dérouté composant. / Halleluya…


D'abord le sujet de la chanson semble être David, le roi qui jouait de la musique pour le Seigneur. La Bible raconte en effet que David jouait de la harpe pour apaiser le roi Saul. Traditionnellement, on lui attribue aussi la composition des psaumes. Il s’adresse à une femme, lui parlant d’un accord secret trouvé par David, mais Cohen ajoute "tu n’aimes pas la musique, n’est-ce pas ?"


strophe 2 (dans la version originale)


Your faith was strong but you needed proof / You saw her bathing on the roof / Her beauty and the moonlight overthrew you / She tied you / To a kitchen chair / She broke your throne, and she cut your hair / And from your lips she drew the Hallelujah


Ta foi était forte mais tu avais besoin de l’éprouver ! / Tu l’as vue se baigner sur le toit / Sa beauté et le clair de lune t’ont bouleversé / Elle t'a attaché à une vulgaire chaise de cuisine / Elle brisa ton trône, et elle te coupa les cheveux / Et de tes lèvres, elle extirpa l'Alléluia.


Le deuxième couplet de la chanson rappelle l'histoire de David et Bethsabée. Le livre de Samuel raconte que David a vu Bethsabée prendre son bain. Bien qu'elle fut déjà mariée, il coucha avec elle et fit mourir son mari à la guerre occasionnant la colère de Dieu qui reprit le fils né de leur union. Cet épisode raconte la plus grande faute du roi David.

Puis, la chanson évoque un autre récit biblique : « She broke your throne and she cut your hair (“elle a brisé ton trône, elle t’a coupé les cheveux”). » On reconnaît ici l'histoire de Samson, l'homme fort presque invincible qui a été vaincu par Dalila. Elle l'a séduit pour trouver son secret : si on lui coupe les cheveux, il perdra sa force. Elle lui coupe les cheveux et appelle les Philistins pour qu'ils l'attrapent et le tuent.


strophe 3 (dans la version originale)


You say I took the Name in vain / I dont even know the Name / But if I did, well really, what's it to you? / There's a blaze of light in every word / It doesnt matter which you heard / The holy or the broken Hallelujah / Hallelujah, (4x)


Vous dites que j'utilise le Nom en vain / Ne connais même pas le Nom / Et si c'était le cas, eh bien alors, qu'est ce que ça peut te faire ? / Il y a un éclat de lumière dans chaque mot / Qu'importe lequel tu considères / Le saint ou le brisé Hallelujah / Hallelujah...

« You say I took the name in vain » fait probablement référence à un des dix commandments: « Tu ne prononceras pas à tord le nom du Seigneur ton Dieu. » Ce nom de Dieu est celui qui est révélé à Moïse au buisson ardent.


strophe 4 (dans la version originale)


I did my best, but it wasnt much / I couldn't feel, so I tried to touch / I've told the truth, I didnt come to fool you / And even though it all went wrong / I'll stand before the Lord of song / With nothing on my tongue but Hallelujah / Hallelujah, Hallelujah...


J'ai fait de mon mieux, mais ce n'était pas beaucoup / Je ne pouvais pas sentir, alors j'ai essayé de toucher / J'ai dit la vérité, je ne suis pas venu pour te duper / Et bien que tout ait mal tourné / Je me tiendrai devant le Seigneur de la chanson / Avec rien d'autre à mes lèvres qu'Hallelujah

À la fin de la chanson, l'auteur semble parler à Dieu et lui dire qu'il a fait du mieux qu'il pouvait dans sa vie et qu'il s'en remet à lui en chantant Hallelujah. « I'll stand before the Lord of Song With nothing on my tongue but Hallelujah. »


d'autres couplets repris dans les versions de John Cale (1991) et Jeff Buckley (1994)


Baby I have been here before / I know this room, I've walked this floor / I used to live alone before I knew you. / I've seen your flag on the marble arch / Love is not a victory march /It's a cold and it's a broken Hallelujah / Hallelujah (4 fois)


Bébé, j'ai été ici avant / J'ai vu cette pièce et j'ai marché sur ce sol / J'avais l'habitude de vivre seul avec de te connaitre / J'ai vu ton drapeau sur ton arche de marbre / Mais l'amour n'est pas une marche de victoire / C'est un Hallelujah froid et brisé.


on ne sait pas qui parle ici ! Est-ce l’auteur qui pense à un souvenir d’enfance en s’adressant à sa compagne ? Ou bien est-ce Dieu qui parle à David en affirmant d’abord sa préexistence au Monde, les commencements de la Création, sa jeunesse, et sa connaissance préalable de tout ce qui existe ? Ce qui serait plus cohérent avec la suite immédiate du texte.

Well there was a time when you let me know / What's really going on below / But now you never show that to me do you / But remember when i moved in you / And the holy dove was moving too / And every breath we drew was hallelujah


Il fut un temps quand tu me laissais savoir / Qu'est-ce qui se passe vraiment en dessous / Mais maintenant tu ne me l'a jamais montré, n'est-pas? / Et rappelle-toi quand j'ai bougé en toi / La colombe sainte se déplaçait trop / Et chaque souffle que nous avons attiré était Alleluia


Ici, l'auteur fait un lien entre l'acte sexuel et Dieu : « And remember when I moved in you, The holy dove was moving too, And every breath we drew was Hallelujah. » The holy dove (sainte colombe) est remplacé dans certaine version par Holy Gost (Esprit Saint). On voit le lien entre la colombe et l'Esprit de Dieu dans le récit du baptême de Jésus. En hébreu et en grec, le mot pour esprit est le même que pour souffle. On comprend alors pourquoi Cohen fait un lien entre le souffle des amoureux et celui de Dieu.


Well, maybe there's a god above / But all I've ever learned from love / Was how to shoot somebody who outdrew you / It's not a cry that you hear at night / It's not somebody who's seen the light / It's a cold and it's a broken hallelujah


Bien, il y a peut-être un dieu là-haut / Mais tout ce que j'ai appris de l'amour / Était comment tuer quelqu'un qui t'a surpassé / Ce ne sont pas des pleurs que tu entends la nuit / Ce n'est pas quelqu'un qui a vu la lumière / C'est un Alléluia froid et brisé


La thématique du texte, c’est la déception face à l’amour. Cet amour peut être celui, classique, entre deux êtres, mais, surtout quand on connait la personnalité du compositeur, Leonard Cohen (Juif de naissance, mais d’obédience bouddhiste), une déception face à la recherche de vérité, Dieu et de soi. Donc, l’amertume d’une recherche spirituelle.

En résumé :

En janvier 2005, bien avant que Hallelujah n’atterrisse sur toutes les lèvres, un journaliste du Sunday Times, Bryan Appleyard, s’était déjà fendu d’une longue analyse de la chanson, agacé qu’il était de l’entendre récupérée (déjà) à toutes les sauces dans des séries télé telles que The O.C. (Newport Beach) ou The West Wing (A la Maison-Blanche), sans parler de l’ineffable Shrek.

Selon Appleyard, il n’y a rien de plus inapproprié, voire d’obscène, que le détournement d’une chanson qui parle avec autant d’amertume de la faiblesse humaine vis-à-vis de la chair, dont le pouvoir se substitue à celui de l’art.

Il résume ainsi le propos de Cohen : “Le sexe est, tristement, ce dont nous avons besoin, mais est-ce ce que nous voulons vraiment ?”

Cette question, que l’analyste considère comme hautement subversive, n’est pas sans reconnecter la chanson à sa source religieuse, à la pureté originelle, même si le tombeur de femmes impénitent qui la pose a depuis longtemps fait le choix de l’impureté.

La seule chose qu’il n’avait pas envisagée en l’écrivant, c’est que sa chanson deviendrait un jour un hymne universel............. Et une sonnerie de téléphone.


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